Fin 2008, Fabrice Mauss décide de mettre fin à l’aventure du groupe "Mauss". Il contacte Da Silva qui après l’écoute de quatre maquettes guitare-voix décide de réaliser le futur album. Quatre titres sont enregistrés au Studio Labomatic en juillet et en septembre Vincent Frèrebeau signe le projet.
Minuit Passé est le nouvel album de FABRICE MAUSS, et le début, ou la suite, c’est selon, d’un beau parcours original dans la chanson francophone.
Lorsqu’on le rencontre, on est pas peu fier d’annoncer au Lyonnais qu’il est né (au mois d’avril 1978, sur les berges du Rhône) le jour où Marie Et Les Garçons, groupe emblématique de la ville, enregistrait un 45 tours produit par John Cale, ou l’année de sortie du premier album de Starshooter. Mais FABRICE MAUSS confesse avoir grandi, influences familiales obligent, à l’ombre de deux albums : un disque de Jacques Brel, et un de Noir Désir, avec quelques chansons de Boris Vian autour. Et s’empresse d’ajouter que son influence majeure, son moteur, reste le cinéma dont on sort un peu dérangé, mettant au pinacle le metteur en scène Lars Von Trier.
Ce garçon, qui préfère créer qu’écouter, est complexe.
Très jeune homme, FABRICE MAUSS décide de devenir fan de groupe (et en particulier de U2). Puis, il s’invente chanteur et batteur aux États-Unis, tapant sur des tambours comme dans un rêve, après avoir laissé croire à ses parents qu’il y avait, dans l’urgence de ses 18 ans, nécessité d’une année sabbatique, afin de mieux réfléchir à son destin. Il fonde ensuite un groupe qu’il reconnaît comme formateur : Corbeille 29 porte le doux nom que le jargon bancaire réserve à l’endroit où échouent les dossiers de prêts refusés.
Ce garçon, qui ne sait pas encore jouer de guitare, s’ingénie déjà à raconter des histoires.
Puis, FABRICE MAUSS fonde un groupe qui s’appelle Mauss, ce qui est assez logique, puisqu’il y chante, joue de la guitare, et compose toutes les chansons. Deux albums et autant de succès (Cracher Mes Nerfs et Je Recherche, en 2007) plus tard, il décide de reprendre sa liberté, et d’assumer en nom propre une trajectoire d’auteur, compositeur, et interprète. Donc, le troisième album qui nous occupe pourrait bien être le premier d’une nouvelle ère dans la vie du chanteur.
Ce garçon, qui ne renie pas son passé, mais regarde désormais devant lui, aime bien brouiller les cartes.
Comme toujours, Minuit Passé ne s’est pas fait tout seul. Á la différence des discours habituels sur le sujet, FABRICE MAUSS en convient tout à fait. Incité à reprendre pied par son directeur artistique (Bertrand Lamblot), il a fait appel au chanteur et producteur Emmanuel Da Silva, et à l’un des monuments de la prise de son, Dominique Blanc-Francard, co-réalisateur des sessions avec Bénédicte Schmitt. Puis, alors qu’il était orphelin de label, Vincent Frèrebeau (ici au tambourin, dans C’Est La Vie) et Tôt Ou Tard lui ont ouvert leurs portes. Le chanteur, acteur et spectateur, a ainsi pu contempler ses chansons prendre forme, accepter le point de vue de l’autre, ou se battre pied à pied dans ses convictions.
Ce garçon, plein de candeur, mais convaincu de ses capacités, est désarmant de spontanéité.
Alors voilà : Minuit Passé, et ces dix chansons qui touchent, comme on peut l’être d’un refrain autour du feu de camp, nous attendent à l’instar d’un rendez-vous d’émotion : c’est de la chanson douce, et française (comme on évoque un certain label de qualité) que nous offre FABRICE MAUSS, nourrie d’une voix de confidence, et d’une somptueuse atmosphère acoustique. Les cordes entament parfois une danse de saloon (Le Dernier Train), pour rappeler que le voyage est aussi une fuite, ou une slide guitar et un banjo poinçonnent l’incommunicabilité dans le couple (L’Un Contre L’Autre). Le premier single, C’Est La Vie, mêle hardiment refrain enjoué et déclaration désenchantée, voire cynique (Y’a moins de risques à se dire oui pour la vie), alors que dans Je N’Irai Pas Au Paradis, retentit une trompette mariachi, qui n’est pas celle des anges. Plus loin, FABRICE MAUSS suit celle qui ne comprend rien (Je mens), s’appuyant sur une confortable ritournelle, comme pour mieux dissimuler la cruauté du propos.
Ce garçon, qui sait rester digne, ne se fait pas outre mesure d’illusions.
Lorsqu’on lui pose effrontément la question, FABRICE MAUSS convient, sans forfanterie, qu’il a davantage quitté que le contraire, pensant que le changement est salvateur, courant en permanence après autre chose. Il est revenu de ces escapades, chargé de désenchantement (Mademoiselle), de la conscience aiguë de la fin de toutes choses (Le Chat), et de l’inéluctable du temps qui passe (Soyons Beaux). Ici, les fracas sont doux (L’Eau Des Roses), mais pas moins destructeurs, et la chanson-titre (Minuit passe, mais l’amour également) constitue un écho doux-amer à toutes ces histoires d’amour qui finissent mal, en général dans la vie, et en particulier ici.
Ce garçon, qui ne se dissimule qu’à grand-peine derrière ses rimes, s’abandonne souvent à une mélancolie qu’on n’ose pas, ou plus.
Minuit Passé (re)vient donc de loin, de tous ces instants de doute que traverse un artiste, et du recul qu’il sait parfois s’imposer. Mais l’album se construit également dans la franchise (s’il fallait interpréter la chanson d’un autre, ce serait Marlène, de Noir Désir), et la spontanéité du sentiment : mon parcours a été assez chaotique, et j’ai su rebondir grâce à de belles rencontres, à des gens qui m’ont fait confiance, qui m’ont incité à continuer. Ce disque, qui a été conçu d’une manière artisanale, est une histoire de chansons, mais pas seulement : des fois, il faut plus que de simples chansons pour faire un disque, mais un groupe de gens qui ont envie de poursuivre une aventure humaine. Et ici, c’est le cas.
Ce garçon, qui ne parle jamais aussi bien de lui que lorsqu’il parle des autres, est bien talentueux.
Christian Larrède